Début Societe TRIBUNE. « Il faut nationaliser Uber! »

TRIBUNE. « Il faut nationaliser Uber! »

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Guillaume Cairou, fondateur de Didaxis-Hiworkers et président du Club des entrepreneurs, estime que l’Etat devrait nationaliser les plateformes de VTC.

La proposition peut paraître folle, elle n’est pourtant pas absurde. Si l’État veut transformer son rapport aux mobilités, il pourrait intégrer les plateformes de VTC à une stratégie réinventée de service public, avec les travailleurs de la nouvelle économie. De quoi esquisser les contours de l’État-providence du troisième millénaire, tel que doit le faire le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) examiné au Parlement. La prestigieuse Harvard Business Review a récemment publié une étude intitulée « Pourquoi certaines plateformes prospèrent et d’autres non », mettant en lumière leurs faiblesses respectives.

Les plateformes de VTC, en tant qu’entreprises privées, existent pour être rentables. Mais entre guerre des prix et faibles barrières à l’entrée, les plateformes ubérisent les secteurs traditionnels moins vite qu’elles ne s’ubérisent entre elles. Cela affaiblit d’abord leur viabilité, puis celle de pans entiers de l’économie.

En juillet 2018, le « Google Maps chinois », filiale du géant Alibaba, lance un service permettant de commander des VTC issus des plateformes existantes, sans surcoût. Le leader national Didi s’en trouve fragilisé, alors qu’Alibaba a investi pour mettre la main sur les données des utilisateurs, pas pour concurrencer son activité.

Une plateforme publique serait une réponse intéressante selon trois points de vue : la politique de mobilité, le développement durable et la souveraineté numérique

Inéluctablement, les plateformes de VTC se concurrenceront jusqu’à gratuité du service, car des géants privés du numérique perçoivent ces marchés comme utiles à leur stratégie de puissance. L’exemple chinois n’est qu’un signal faible de ce qui se prépare. Il suffit d’observer les offensives de Google dans le marché des mobilités pour s’en convaincre.

Un jour, ces plateformes appartiendront à un géant du numérique assoiffé de données, à leurs chauffeurs, à une association à but non lucratif, ou à l’État. En France, l’État réglemente le transport de personnes depuis une ordonnance royale de 1657. À l’échelle de notre histoire, le défi lancé par Uber depuis 2011 est donc inédit. Une plateforme publique serait une réponse intéressante selon trois points de vue : la politique de mobilité, le développement durable et la souveraineté numérique.

D’abord, elle ne signifierait pas le recours à des fonctionnaires. Elle s’inscrirait au contraire dans la réinvention du rapport de l’État aux services publics, intégrant la technologie des plateformes et les indépendants de la nouvelle économie, dans un cadre où la puissance publique est seulement propriétaire de l’infrastructure numérique.

Si la Révolution française a sonné le glas de la royauté, la révolution numérique ne doit pas sonner celui de la République

Ensuite, l’État est le seul acteur apte à s’engager durablement dans la gestion d’une activité tournée vers l’intérêt général à défaut de rentabilité. Il protégerait le marché de l’auto-ubérisation, fâcheuse pour les plateformes, leurs investisseurs, les chauffeurs, les finances publiques et les utilisateurs finaux.

Enfin, l’État récolterait et protégerait les données personnelles des utilisateurs français. Il mettrait ainsi en œuvre un volet de la politique de souveraineté numérique qu’il appelle de ses vœux en Europe, face aux ogres américains et chinois.

Une plateforme de VTC publique ne serait pas contradictoire avec la pensée libérale moderne. Dans le modèle de libéralisation du rail que la France s’apprête à appliquer, l’État reste propriétaire des infrastructures et concède l’exploitation des lignes à des opérateurs privés. Ce modèle peut être transposé aux VTC.

Au fond, le libéralisme n’aspire-t-il pas au juste équilibre entre privé et public, entre faible et fort? Jadis, l’État était le fort, mais dans la révolution de la nouvelle économie, il est devenu le faible. Il est pris de vitesse par des technologies qui mettent à l’épreuve son modèle politique et législatif. Son arrimage à la société digitale via une plateforme de VTC publique serait une réaffirmation de sa souveraineté. Si la Révolution française a sonné le glas de la royauté, la révolution numérique ne doit pas sonner celui de la République.

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