A la veille du coup d’envoi du grand débat national voulu par Emmanuel Macron en réponse aux Gilets jaunes, les « garants » devant succéder à la CNDP de Chantal Jouanno pour s’assurer de l’indépendance et la transparence de cette consultation n’étaient toujours pas connus. D’autres inconnues demeurent.
Le « grand débat national » initié par le gouvernement commence mardi, et tout n’était pas encore réglé à la veille du coup d’envoi. Après avoir déjà repoussé l’échéance la semaine dernière, le Premier ministre Edouard Philippe n’avait toujours pas communiqué lundi les modalités exactes de ce processus, même si les grandes lignes sont connues. Emmanuel Macron en avait précisé le cadre général, dans sa lettre aux Français, confirmant que ceux-ci avaient jusqu’au 15 mars pour débattre autour de quatre grands thèmes et répondre notamment à une trentaine de questions directement posée par le chef de l’Etat.
Concrètement, cette consultation a deux faces. Sur le terrain, n’importe qui aura la possibilité d’organiser une réunion au nom de ce grand débat, qu’il s’agisse d’un élu, d’une association, d’une entreprise ou d’un citoyen. Il lui suffira de s’enregistrer sur la plateforme numérique dédiée à ce grand débat national et il recevra en retour un « kit d’accompagnement » censé lui apporter les informations nécessaires pour veiller à la bonne tenue de son rendez-vous. En outre, le même site Internet permettra de déposer sa propre contribution directement en ligne. Un numéro vert a été par ailleurs mis en place pour tout renseignement.
Les préfets invités à « faciliter » le lancement
Voilà pour la théorie. Dans la pratique, un certain flou persiste, notamment sur la façon dont le débat « vivra ». Comment s’assurer que dans certaines de ces réunions, les discussions ne partent pas dans tous les sens et que des éléments exploitables en sortent? Chaque préfecture devait nommer un référent, capable de coordonner les débats dans son département et de faire remonter les réponse des Français. Dans un courrier publié par France Info et signé du directeur du cabinet du ministre de l’Intérieur, Stéphane Bouillon, les préfets étaient également invités, non pas à « organiser ou animer ces débats », mais à « faciliter le lancement de premières réunions » en suscitant « la prise d’initiative » d’élus et acteurs locaux.
L’implication des maires dans ce débat est en particulier espérée par l’exécutif. Au moins 5.000 d’entre eux avaient déjà mis à disposition des cahiers de doléances pour la phase préparatoire de cette consultation. Mais combien auront le désir de se charger du reste? A l’instar de l’Association des maires de France (AMF), qui a accueilli plutôt froidement l’initiative gouvernementale, de nombreux édiles ne s’estiment pas engagés par ce projet. Certains sont prêts à mettre à disposition des locaux, pas davantage.
Un débat fidèlement restitué?
A plus court terme, du retard semble avoir été pris. La désignation tardive de ceux qui chapeauteront le débat – François de Rugy a même été démenti après avoir annoncé dans la matinée celle de Jean-Paul Bailly et de Nicole Notat – n’en est que l’illustration. Globalement, la transition entre la Commission nationale du débat public (CNDP) présidée par Chantal Jouanno, qui était chargée en décembre de lancer le processus, et ce comité qui sera opérationnel le temps du débat ne se fait pas sans heurts. « Il a fallu tout reprendre », commentait auprès d’Europe 1 l’entourage d’un ministre, évoquant le faible travail supposé de la CNDP. « On sera prêts », assurait pourtant encore Matignon au JDD dimanche, relevant notamment que la plateforme numérique n’était « pas entièrement ficelée, mais sera opérationnelle » dès mardi, ou que les kits étaient en « en cours de validation ».
Autre enjeu crucial : l’exécutif pourra-t-il assurer qu’à chaque étape, la sincérité et la transparence de la démarche soient respectées et que les débats puissent donc être fidèlement restitués? « Pour garantir votre liberté de parole, je veux que cette consultation soit organisée en toute indépendance, et soit encadrée par toutes les garanties de loyauté et de transparence. C’est ainsi que j’entends transformer avec vous les colères en solutions », promettait ainsi Emmanuel Macron dans sa lettre aux Français diffusée dimanche soir.
Des « garants » et des ministres pour « animer »
Les « personnalités indépendantes » en attente d’être nommées auront ce rôle, au niveau national, en prenant le relais de Chantal Jouanno, qui s’était retirée de l’organisation de ce débat après la polémique liée à son niveau de salaire. Effectivement pressenti, Jean-Paul Bailly a été PDG de la RATP (1994-2002) et de La Poste (2002-2013) et multiplie depuis sa retraite des missions diverses, sur le travail dominical sous le quinquennat Hollande comme sur la santé d’Air France pour le compte de la compagnie aérienne. Il n’est toutefois pas complètement étranger à Emmanuel Macron puisque, comme le rapportait Les Echos en 2016, l’homme disait l’admirer mais « sans le soutenir », ce qui n’avait pas empêché l’ex-ministre de l’Economie de préfacer son ouvrage, Réformez! par le dialogue et la confiance, témoignage d’un dirigeant.
Aux côtés de ces « garants », deux membres du gouvernement ont par ailleurs été désignés pour « animer » ce débat : le ministre chargé des Collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, devrait plus spécifiquement s’occuper de la place des élus, tandis que la secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique, Emmanuelle Wargon, sera en charge de la société civile.
Les doutes de Chantal Jouanno
Mais lundi matin, la présidente de la commission nationale du débat public, Chantal Jouanno a jeté un pavé dans la mare. « Dès lors que le gouvernement a décidé de reprendre le pilotage du grand débat national, la CNDP qui est une autorité neutre et indépendante n’y a plus sa place », a écrit sur Twitter l’ex-ministre. Le message semble limpide : repris en main par le gouvernement, le débat ne pourra pas être indépendant, selon elle. C’est aussi l’avis de plusieurs responsables d’opposition ou de Gilets jaunes, qui craignent une consultation pipée d’avance.
Autre message envoyé par la CNDP de Chantal Jouanno, dans son rapport de fin de mission diffusé lundi : à quoi bon fixer des « lignes rouges » avant même le début du débat? La commission vise notamment par là l’opposition répétée du gouvernement à revenir sur sa réforme de l’ISF, l’un des principaux motifs de contestation des Gilets jaunes. « L’expérience de la CNDP lui permet d’affirmer qu’afficher une telle position avant l’ouverture du grand débat national en videra les salles ou en radicalisera plus encore les oppositions », précise-t-elle dans ce document.
« Un débat qui ne permet pas d’aborder l’option zéro d’un projet, c’est-à-dire son abandon, est systématiquement un échec. Par contre, il ne vous sera jamais reproché de répondre négativement et de manière argumentée », souligne-t-elle encore. Voilà le gouvernement prévenu. Pour Emmanuel Macron, le casse-tête du débat ne fait peut-être que commencer.