Début Societe Djihadistes : pourquoi la France ne rapatrie que les orphelins et « au cas par cas »

Djihadistes : pourquoi la France ne rapatrie que les orphelins et « au cas par cas »

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Cinq enfants de djihadistes français ont été rapatriés vendredi. Mais pour les autorités françaises, il n’est plus question de rapatrier les enfants dont la mère ou le père est présent à leurs côtés dans les camps kurdes. Des problèmes juridiques et le maintien d’une partie des troupes de la coalition internationale sur place ont conduit Paris à privilégier le statu quo pour ces familles françaises.

Pour la première fois depuis le début de la guerre en Syrie, des enfants de djihadistes français ont été rapatriés en France, depuis le territoire syrien. C’est l’armée française qui s’est occupée du transfert, avec l’aide, comme le précise le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué, des Forces démocratiques syriennes (FDS), qui gèrent les camps au Kurdistan syrien. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) avait, en amont, identifié les cinq enfants : il s’agit d’enfants orphelins ou isolés, tous âgés de moins de 5 ans. Trois sont issus d’une même fratrie et sont âgés de 1, 3 et 5 ans ; les deux autres sont des petites orphelines qui se trouvaient dans les camps de Roj et de Al-Hol.

Les membres de la fratrie sont les enfants de Julie Maninchedda, une jeune femme originaire de Libercourt, dans le Pas-de-Calais, qui avait rejoint les rangs de l’Etat islamique avec son époux en 2014 et qui a été tuée. Ce dernier est détenu par les Kurdes.
La fillette du camp d’Al-Hol est âgée de 5 ans. Elle avait été jusque-là prise en charge par une femme, qui « lui a sauvé la vie », selon l’avocate de sa famille restée en France, Marie Dosé. Sa mère est morte dans les bombardements il y a plusieurs mois.
L’autre petite fille se trouvait au camp de Roj, dont le père est présumé mort depuis 2013. L’avocate de sa grand-mère, maître Samia Maktouf, avait déposé un recours devant le tribunal administratif de Paris la semaine dernière pour contraindre l’Etat français à la rapatrier.
Lire aussi – Au sujet du retour en France des enfants de djihadistes, l’Etat a changé plusieurs fois d’avis

Une opération qui s’est déroulée dans le plus grand secret
L’opération s’est déroulée dans le plus grand secret. Selon Le Monde, « moins de cinq personnes dans l’appareil de l’Etat étaient au courant de l’opération et de ses modalités ». Et pour cause : Paris n’entend pas généraliser ce type de rapatriement. Emmanuel Macron l’a encore rappelé la semaine dernière en marge de son déplacement au Kenya : « Pour ce qui est des enfants, c’est une approche au cas par cas qui est menée. »

Si la France avait dans un premier temps envisagé de rapatrier les enfants sans les mères – c’est le cas par exemple des trois enfants de Melina Boughedir, cette Française condamnée en Irak pour terrorisme -, elle a finalement changé d’avis. Il y a trois principales raisons à cela:

Des raisons juridiques ;
l’état de l’opinion publique française ;
la situation sur le terrain.
Juridiquement, c’est compliqué de ramener les enfants sans les mères
En octobre dernier, la France avait laissé entendre que les enfants, majoritairement très jeunes, pourraient être rapatriés sans leur mère, sous réserve de son accord. « Nous sommes entrés dans une phase où nous préparons le retour des enfants pour lesquels les mères ont donné leur autorisation », avait ainsi déclaré une source de haut rang au Monde à cette époque. Sous ces conditions, le retour d’environ 70 enfants était envisagé. Les mères pouvaient en effet être tentées d’accepter un tel accord, espérant un meilleur avenir pour leurs enfants qu’une vie dans les camps surpeuplés du nord de la Syrie.

Mais depuis, la France a changé d’avis. « La question du retour (des enfants) ne se pose pas à l’heure actuelle », a ainsi rappelé la semaine dernière devant la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale le secrétaire d’Etat Laurent Nunez, précisant que ces enfants étaient « dans la majorité des cas détenus avec leurs parents, en tout cas avec leur mère ».

La France semble entre temps avoir réalisé la complexité juridique d’un tel retour : il s’agit de récupérer des enfants dans un territoire dont l’Etat n’est pas reconnu par la communauté internationale et dont les parents, au moins la mère, disposent toujours de l’autorité parentale. Une mère peut toujours donner son accord pour que ses enfants soient rapatriés, mais juridiquement, cette solution pourrait être ultérieurement contestée. Et l’Etat serait exposé à des recours au nom de « l’intérêt supérieur de l’enfant ».

Une situation qui explique le changement de doctrine. Or, avec les enfants isolés (on ignore ce que sont devenus leurs parents) ou les orphelins, le problème ne se pose pas. Et la France, via la ministre de la Justice Nicole Belloubet notamment, s’est engagée à rapatrier les orphelins.

Le retour des enfants de djihadistes? Les Français semblent contre
Sur ce sujet hautement sensible, le gouvernement doit faire face à l’hostilité de l’opinion publique, peu ou mal informée. Quand au début de l’année certaines sources ont laissé entendre, qu’en raison de la situation sur le terrain – à savoir le départ des soldats américains et l’incapacité des Kurdes à gérer les djihadistes étrangers arrêtés – la France envisageait des scénarios de retour massif des djihadistes français, les sondages ont montré à quel point cette perspective était mal vécue par une partie des Français.

Et il en va de même pour les enfants. Selon un sondage publié début mars et réalisé par l’institut Odoxa-Dentsu Consulting pour France Info et Le Figaro, 67% des Français souhaitent que les enfants restent en Irak ou en Syrie. On pourra toutefois relever le biais évident de la question posée : « A propos des enfants de djihadistes français en Syrie et en Irak, souhaitez-vous que la France laisse l’Irak et la Syrie s’occuper d’eux ou fasse le maximum pour les faire revenir? »

Sur le terrain, la situation a de nouveau changé
Depuis les premières arrestations de djihadistes français par les Kurdes, la France avait décidé de laisser les FDS gérer la situation. Interrogé par le JDD, un spécialiste de la zone juge ce choix naïf, tant tout le monde savait qu’il ne pouvait en aucun cas s’agir d’une solution pérenne, étant donné l’évolution constante du rapport de force sur le terrain.

Et la réalité ne l’a pas démenti. En décembre, Donald Trump a surpris tout le monde en annonçant le départ programmé des soldats américains. Une décision qui laisse les Kurdes seuls, en étau entre le régime de Damas et les Turcs. C’est ce qui avait conduit dans un premier temps la France à envisager un rapatriement de ses djihadistes pour éviter qu’ils se dispersent dans la nature, reviennent sur leur territoire national par leurs propres moyens ou finissent entre les mains du régime syrien. D’autres pays concernés ont d’ailleurs, pour la même raison, déjà procédé au rapatriement de leurs combattants. C’est le cas par exemple des Russes ou des Américains.

Mais finalement, Donald Trump n’a jamais donné de date de calendrier de retrait. Et au contraire, il a même indiqué que des soldats américains resteraient sur place, dont 200 dans le Nord du pays. Ce qui permettrait de fait à la coalition internationale, dont fait partie la France, de laisser également ses soldats et de surveiller la situation dans les camps. On en reviendrait donc au statu quo, avec les djihadistes français soient jugés en Irak pour ceux qui y ont commis des faits de nature terroriste soit maintenus dans des camps au Kurdistan, où ils ne peuvent pas être jugés.

Des avocats de familles déposent une nouvelle plainte
Dans ces conditions, deux avocats ont décidé lundi d’attaquer l’Etat français devant le Comité contre la torture de l’ONU. « Le temps n’est plus aux tergiversations mais à l’urgence humanitaire et sécuritaire », écrivent maîtres Marie Dosé et Henri Leclerc. Avec maîtres Martin Pradel et William Bourdon, Marie Dosé avait également déposé plainte devant le Comité international des droits de l’enfant. « En refusant de rapatrier tous ses enfants », la France viole « la Convention internationale contre la torture dont elle est signataire, puisqu’elle les expose directement à des traitements cruels, inhumains et dégradants », écrivent les pénalistes.

Fin février, au moins 80 enfants français se trouvaient encore aux mains des forces arabo-kurdes, dans les camps. Mais ils pourraient être désormais bien plus nombreux, alors que le dernier réduit de Daech s’est vidé de ses habitants. La pétition lancée pour demander le retour des enfants de djihadistes sur le territoire français recueillait lundi midi 4.669 signatures.

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