Début Societe Ce qu’il faut savoir sur l’assainissement de nos eaux usées en période de COVID 19

Ce qu’il faut savoir sur l’assainissement de nos eaux usées en période de COVID 19

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La France compte 21 474 stations d’épuration. Si certaines stations couvrent les besoins de centaines de milliers ou de millions d’habitant·es, 80 % sont implantées en zone rurale et semi-urbaine et traitent des volumes correspondant à moins de 2 000 équivalents habitant·es, soit 8 % de la capacité totale de traitement installée en France. Dans les stations de capacité supérieure, le traitement des eaux usées est très développé, avec des méthodes par UV ou filtration membranaire. Dans les plus petites, les procédés sont moins élaborés avant le rejet des eaux dans le milieu naturel.

Les métiers de l’assainissement sont dangereux pour la santé. Les études épidémiologiques réalisées entre 2004 et 2009 sur les égoutier·es de la Ville de Paris, par l’INRS, l’INSERM et le service de médecine professionnelle de cette collectivité ont démontré qu’ils et elles ont les plus forts taux de mortalité et de morbidité de France, rendant ainsi leur espérance de vie à 17 ans inférieure de la population française de référence. Par conséquent, en temps normal, les protections sont strictes : port de gants, bottes de sécurité, combinaisons couvrant tout le corps, lunettes ou visières. Du fait du taux élevé d’humidité dans les atmosphères confinées des réseaux d’égouts et installations d’assainissement, seuls des demi-masques en plastique ou des masques complets couvrant tout le visage avec cartouches filtrantes peuvent être utilisés.

L’assainissement est essentiel afin de garantir que les milieux naturels soient les moins pollués possible. Cela concerne les nappes souterraines, lacs, rivières ou toute source permanente d’approvisionnement en eau, comme le littoral et les nappes phréatiques.

Les informations de base en période de COVID 19

L’eau potable ne semble pas être affectée. Son traitement par ozonation (injection d’ozone dans l’eau), sa désinfection par ultra-violets et chloration, voire l’osmose inverse, utilisée séparément ou cumulé, éradique actuellement le virus. Par ailleurs le taux de chlore a été augmenté par mesure de prévention (la consommation étant moins importante en raison de la fermeture des entreprises, l’eau peut stagner dans certaines parties des réseaux).

Les opérateurs de l’eau et de l’assainissement, publics ou privés, sont considérés comme des « opérateurs d’importance vitale ». Les services d’eau et d’assainissement ont donc activé leur plan de continuité d’activité (PCA), afin de poursuivre leurs missions essentielles pour le maintien du service public.

Les activités non indispensables (maintenance préventive des usines, travaux d’entretien et de renouvellement de réseau programmés) ont été suspendues. D’après les représentant·es du secteur de la filière eau, l’activité des opérateurs a baissé de 15 %, et celles des PME du secteur de 20 à 30 %.

Les services d’assainissement fonctionnent avec un double contrôle : les auto-contrôles, dont les résultats sont transmis aux agences et à la police de l’eau, et des contrôles de l’Agence régionale de santé. L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) demande d’augmenter les contrôles en période de pandémie. Or, beaucoup d’agent·es ne se rendent plus sur le terrain, en raison des plans de continuité de l’activité. Cela pose question sur l’effectivité des préconisations de l’ANSES.

Des risques sanitaires

Le COVID 19 pourrait survivre plusieurs jours dans l’eau. Il survit également plusieurs jours dans la graisse et sur le plastique, deux matières qui sont très présentes dans les réseaux d’assainissement et qui sont séparées des effluents liquides dans les stations d’épuration des eaux usées (STEU).

Les traces de COVID 19 relevées par les analyses faites par le laboratoire de Eau de Paris font état de 1 000 unités du génome par litre d’eau non traité, c’est-à-dire de l’eau brute pompée dans la Seine et dans le canal de l’Ourcq. Cela signifie qu’au moins une de ces deux sources d’approvisionnement est contaminée. Par ailleurs, des échantillons ont été prélevés dans les eaux usées de cinq usines de la région parisienne deux fois par semaine entre le 5 mars et le 7 avril. Des « concentrations élevées » d’ARN viral plusieurs jours avant le 10 mars ont été détectées, le jour des premiers décès parisiens.

Diverses études ont souligné la présence du COVID 19 dans les selles des malades, bien avant l’apparition des premiers symptômes. Il pourrait aussi s’y trouver chez les cas asymptomatiques. Le COVID 19 est donc présent dans les eaux usées si des personnes ont été infectées. Si sa charge virale n’est cependant pas connue, les analyses effectuées entre le 5 mars et le 7 avril, précédemment citées, relèvent des taux plus importants d’unités du génome dans les eaux usées, de l’ordre d’un million en égouts avant entré en STEU et entre 10 000 et 20 000 en sortie.

Les agent·es des services d’assainissement pourraient être contaminé·es si le coronavirus reste infectieux. Certes, en 2009, l’ANSES avait évalué que le risque de transmission du H1N1 aux travailleur·ses de l’assainissement, par le biais d’eaux usées était faible. Cependant, il est établi que les travailleur·ses de ce secteur « présentent des syndromes respiratoires, pseudo-grippaux et gastro-intestinaux de façon plus fréquente que la population générale », (rapport de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, 2013). Les eaux usées contiennent de fortes concentrations de virus, de bactéries, de gaz dangereux, des métaux lourds, des produits chimiques, etc.

Les risques de contamination peuvent être par une projection d’eaux d’égout, la respiration dans l’atmosphère humide et confinée des réseaux d’assainissement, le contact avec les aérosols (mises en suspension dans l’air de particules liquides ou sèches) en raison des systèmes d’aération dans les bassins biologiques, du déplacement de matières.

Le manque de protections pour les agent·es

Or, les services d’assainissement disposent de peu de masques FFP2 ou FFP3, pour bon nombre périmés, ou sont en rupture. Les besoins s’élèveraient à 500 000 masques par semaine (en rappelant que l’utilisation de ces masques papiers ne sont en aucun cas préconisés pour intervenir dans les atmosphères confinées, mais doivent servir comme pour tout travailleur·se au respect des gestes barrières face au coronavirus). Les services ont certes bénéficié de l’équivalent d’une semaine de stock de masques détenues par Santé publique France, selon une note du comité stratégique de la filière eau (les industriels et opérateurs du secteur). La FP2E (Fédération professionnelle des entreprises de l’eau) et France Eau Publique auraient engagé des discussions avec le Gouvernement pour obtenir ces équipements. Plusieurs témoignages soulignent cependant la difficulté à s’en procurer.

Par ailleurs, les habitant·es jettent beaucoup plus qu’à l’accoutumée des lingettes désinfectantes mono-usage dans les toilettes, ce qui bouche les réseaux et obligent les agent·es à des interventions plus régulières et qui nécessitent parfois d’enlever les gants.

Des enjeux écologiques

Le nettoyage à haute pression des rues est une pratique à bannir pour deux raisons : il diffuse dans l’air ambiant les bactéries, virus, ce qui crée un risque supplémentaire (en particulier pour les agent·es d’entretien) et cela peut être polluant pour la biodiversité. Les eaux de lavage des rues repartent chargées de métaux et de bactéries dans le circuit d’épuration, ce qui génère des difficultés supplémentaires.

Certains services de recyclage des déchets sont suspendus : les déchets, les masques, les gants habituellement incinérés risquent d’être placés en décharge, la capacité des incinérateurs étant atteinte.

L’ANSES n’autorise plus l’épandage des boues récupérées en stations d’épuration sans hygiénisation préalable durant la période épidémique. Or 70 % des boues d’épuration sont épandues, pas toujours après hygiénisation), cela dépend de la taille de la station. Le reste est incinéré.

Des opportunités pour améliorer la surveillance épidémiologique

Le COVID 19 est traçable sur les sites de prélèvements des eaux usées et les stations d’épuration qui traitent les eaux usées de milliers à des millions de personnes, d’après des études réalisées aux Pays-Bas, en Suède, en Suisse, aux États-Unis (Massachusetts) et en Île-de-France. La quantité de génomes de COVID 19 présent dans les eaux usées augmente à raison de la hausse des hospitalisations. Depuis le confinement, la charge virale dans les eaux usées a fortement diminué, restant cependant à des niveaux assez élevés.

La surveillance régulière des eaux usées en complément des approches épidémiologiques permettrait de surveiller l’évolution et la circulation du virus : nouveaux foyers, reprise de l’épidémie, etc. Elle pourrait être utile dans les zones où la prévalence du virus est faible.

Cela pourrait aussi dans l’avenir permettre d’anticiper l’arrivé de nouveaux virus ou maladies nouvelles dont les signes avant-coureurs seraient possibles d’être détectés précocement dans les réseaux d’assainissement.

Plusieurs paramètres sont à prendre pour une surveillance efficace : connaître la quantité de génome viral dans les selles pour déterminer les chiffres, s’assurer qu’il est possible d’étudier un échantillon représentatif, les tests doivent repérer le virus y compris dilué dans l’eau (donc à faible concentration), et cette surveillance des eaux usées, quand elle est possible, ne doit pas priver les autorités sanitaires de matériel et de composants pour réaliser les tests individuels.

Des actions à mettre en œuvre

1) Accéder aux revendications de la CGT Assainissement :

  • fourniture suffisante d’équipements de protection : masques, uniformes de protection corporelle intégrale avec système de ventilation individuelle indépendant ;
  • rotation plus fréquente des équipes pour réduire l’exposition potentielle au virus ;
  • repos accru et suffisant pour compenser le stress et les contraintes supplémentaires.

Par ailleurs, il est indispensable dès maintenant et en prévision du déconfinement de réaliser des études pour connaître plus précisément la durée de vie, sa charge virale éventuelle et le comportement du COVID-19 dans les eaux usées.

2) Tester au moins une fois l’ensemble des travailleur·ses du secteur ;

3) Traiter l’eau qui est utilisée pour le nettoyage des rues et l’arrosage des jardins publics (ne pas utiliser d’eau brute) en proscrivant l’emploi des pulvérisateurs ;

4) Plus généralement, durcir l’ensemble des normes concernant la réutilisation des eaux usées en y appliquant le principe constitutionnel de précaution. Il faut entrer en relation avec nos député·es européen·nes sur ce sujet. En effet, le Conseil a adopté par procédure écrite un règlement qui facilitera l’utilisation des eaux urbaines résiduaires traitées pour l’irrigation agricole. Ce règlement va être présenté en deuxième lecture pour approbation définitive.

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