Selon deux enquêtes publiées dans le JDD ce week-end, Emmanuel Macron bat à la fois un record d’impopularité tout en gagnant en intentions de vote en cas d’élection présidentielle. Un paradoxe? Pas forcément.
Emmanuel Macron n’a jamais été aussi impopulaire depuis son arrivée à l’Elysée. « Et en même temps », pour reprendre l’adage macroniste, si une élection présidentielle devait se tenir aujourd’hui, le chef de l’Etat aurait encore ses chances de l’emporter : il serait même en mesure de faire mieux au premier tour par rapport à 2017. Tels sont en tout cas les enseignements de deux sondages Ifop parus ce week-end dans Le Journal du dimanche. Cela pourrait sembler contradictoire, mais ces enquêtes révèlent en fait deux logiques différentes de l’état de l’opinion. A l’inverse même, elles apportent aussi de nouveaux éléments de compréhension sur la situation politique actuelle. Explications.
Ces deux sondages ne parlent pas de la même chose
L’un correspond à la vague de décembre du baromètre Ifop-JDD sur la popularité du chef de l’Etat : Emmanuel Macron ne recueille plus que 23% de satisfaction, en baisse de deux points par rapport à novembre. Il n’avait jamais atteint un si bas niveau depuis mai 2017.
Evolution de la popularité d’Emmanuel Macron dans le baromètre Ifop-JDD.
Evolution de la popularité d’Emmanuel Macron dans le baromètre Ifop-JDD.
(Ifop)
Sondage réalisé du 7 au 15 décembre auprès d’un échantillon de 1.943 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
Le second est une enquête mesurant des intentions de vote en situation d’élection présidentielle. Deux hypothèses ont été testées, l’une avec les candidats du premier tour de 2017, l’autre avec l’actuel patron du parti Les Républicains, Laurent Wauquiez, à la place de François Fillon. Dans les deux cas, même avec Marine Le Pen revenue à sa hauteur, Emmanuel Macron ferait légèrement mieux que son résultat d’il y a un an et demi (24% des voix), en recueillant 25% d’intentions de vote face à François Fillon et 27,5% face à Laurent Wauquiez. Il faut toutefois prendre en compte les marges d’erreur propres au sondage (plus ou moins 2,5 points dans ce cas précis).
Sondage d’intentions de vote sur la configuration de la présidentielle de 2017.
Sondage d’intentions de vote sur la configuration de la présidentielle de 2017.
(JDD)
Rappelons qu’un sondage n’a rien de prédictif, il montre une situation à un moment donné.
Non, ces deux sondages ne sont pas contradictoires
Ces enquêtes évoquent deux situations bien distinctes. « Il ne s’agit tout simplement pas du même instrument de mesure. Sur la popularité, il y a une logique d’évaluation d’une personne, ici le chef de l’Etat, vis-à-vis de laquelle il est question d’exprimer une satisfaction ou un mécontentement », résume Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop. « L’autre indicateur est un rapport de force électoral, qui met le sondé devant un choix à faire. » D’où l’idée de « refaire le match » : s’il n’est bien sûr pas question de convoquer une nouvelle présidentielle aujourd’hui, la question permet en tout cas de suivre l’évolution des rapports de force politique depuis la présidentielle, notamment en plein contexte des Gilets jaunes.
Pour être plus clair, le sondeur file même la métaphore sportive :
« La popularité, c’est un joueur de tennis qui se renvoie des balles face à un mur – qui serait celui de l’opinion. »
« L’intention de vote, c’est le tournoi de tennis qui vise à désigner un vainqueur. »
Les liens entre popularité et capital électoral sont donc loin d’être évidents, les deux ne s’alimentant pas forcément. Ce cas de figure se retrouvait par exemple en 2012, notamment, à l’aube de la campagne présidentielle : en janvier, le Président sortant Nicolas Sarkozy n’était qu’à 32% de popularité mais parvenait encore à faire jeu égal avec François Hollande dans les sondages (26% d’intention de vote en début d’année, contre 28% pour le socialiste).
S’agissant d’Emmanuel Macron, l’aspect inédit vient du fait que son réservoir électoral (25 à 27,5%) est ici supérieur à sa popularité (23%). « Mais c’est symbolique, reprend Frédéric Dabi. Le vrai enjeu qui se pose est celui du débouché que pourrait avoir la popularité ou l’impopularité sur un terrain électoral. Or, on peut être mécontent d’une personne sans trouver quelqu’un d’autre sur qui se reporter. »
Mais comment comprendre alors le niveau de Macron dans ces enquêtes?
S’agissant de la popularité du chef de l’Etat, la tendance est lourde depuis le début d’année déjà : elle en baisse continue, un phénomène amplifié depuis le début de l’été et l’affaire Benalla. Au-delà du seul baromètre Ifop-JDD, les différents instituts de sondages de popularité convergent vers ce point. Et avec le mouvement des Gilets jaunes, la cote présidentielle s’est même dégradée davantage, puisque des chutes de 2 à 6 points sont enregistrées sur le seul mois de décembre.
Baromètres popularité – Macron
Infogram
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Dans le détail de notre dernière vague, le décrochage du Président est généralisé : dans aucune catégorie de la population, il n’est au-dessus des 50% d’avis favorables, à l’exception des sympathisants de La République en marche (84% de satisfaction) et plus globalement de ses électeurs du premier tour de 2017 (60%, même si 39% s’en disent mécontents).
S’agissant du sondage d’intentions de vote, Emmanuel Macron profite en revanche de plusieurs vents favorables :
Il profite de la fidélité de son électorat de 2017 : 83% ne choisiraient pas un autre candidat que lui, si l’élection présidentielle devait à nouveau avoir lieu. Cela signifie donc qu’une partie de ses électeurs aujourd’hui mécontents de lui n’iraient pas jusqu’à un changement de candidat.
Cette enquête révèle en creux la fragilité de l’opposition. Exception faite pour Marine Le Pen, qui capitalise en augmentant nettement son score de premier tour. Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, eux, seraient moins mobilisés puisque moins des deux tiers d’entre eux (64%) seraient prêts à glisser le même bulletin de vote aujourd’hui.
Quant aux électeurs de droite, ils seraient carrément coupés en deux. Ainsi, un quart des électeurs de François Fillon en 2017 se reporterait aujourd’hui sur Emmanuel Macron si l’ancien Premier ministre était à nouveau candidat. Avec l’hypothèse Laurent Wauquiez, ce serait encore plus : les électeurs de Fillon seraient 36% à voter Macron, contre 43% pour l’actuel patron de la droite.
Ces chiffres sont bien sûr indicatifs et à considérer avec leur marge d’erreur, puisqu’il s’agit de sous-catégories au sein du panel de sondés. Et si le scrutin devait vraiment se rejouer, la question de l’abstention se pose. Un électeur de François Fillon tenté par le vote Macron, par exemple, pourrait tout simplement décider de ne pas se rendre dans les urnes. Plus généralement, conclut Frédéric Dabi, ce sondage montre que « le big bang électoral se poursuit » et que la recomposition politique est loin d’être figée. L’offre électorale proposée dans ce sondage sera de toute façon probablement amenée à évoluer.