La cour d’appel de Lyon a infligé jeudi une nouvelle défaite à la firme Monsanto, dans le dossier de l’intoxication de l’agriculteur Paul François en 2004. Le charentais a adressé dans la foulée « un message au gouvernement, à Agnès Buzyn et à Emmanuel Macron ».
Pour la troisième fois en 12 ans de combat judiciaire, ce jeudi, l’agriculteur Paul François a remporté sa bataille face à Monsanto. La cour d’appel de Lyon a reconnu le géant de l’agrochimie (racheté depuis par le groupe allemand Bayer) « responsable du dommage causé à Paul François », intoxiqué au Lasso en avril 2004, un désherbant alors fabriqué par la firme et désormais interdit. Après avoir obtenu gain de cause en 2012 puis en appel en 2015, Bayer-Monsanto s’était pourvu en cassation et Paul François avait dû affronter un nouveau procès en appel le 6 février.
Peu avant 14 heures, à l’annonce de la décision, quasiment 15 ans jour pour jour après avoir inhalé des vapeurs de Lasso en ouvrant une cuve après un épandage, l’agriculteur charentais a poussé « un grand ouf de soulagement ». Emu, satisfait et fatigué, il a voulu dédier cette « journée historique » à son épouse, décédée il y a sept mois, ainsi qu’à ses deux filles.
Pour la Cour d’appel, Monsanto n’a pas précisé la dangerosité de son produit pour les cuves
« Je suis heureux d’avoir gagné, mais à quel prix? C’est cher payé. Pour ma famille, c’est douze ans d’une vie entre parenthèses », a lancé Paul François face à la presse, en contenant ses larmes. Avant d’adresser ses pensées aux militants, aux chercheurs, aux donateurs de la cagnotte qui a financé ses frais de justice, aux victimes des pesticides, « au monde paysan que l’on culpabilise, aux malades qui ont peur de parler ».
Selon l’arrêt de la cour d’appel, la décision se base sur « la responsabilité du fait des produits défectueux », ce que réclamait la Cour de cassation. Alors que Bayer-Monsanto pointait la « négligence » de Paul François, qui aurait eu connaissance de la dangerosité des produits, la cour d’appel a au contraire reproché au géant de l’agro-chimie « de ne pas avoir sur l’étiquetage et/ou l’emballage du produit apposé une mention sur la dangerosité spécifique des travaux dans les cuves et réservoirs ».
C’est un tournant dans la lutte contre les fabricants de pesticides
Le défenseur de Bayer-Monsanto, Jean-Daniel Bretzner, a estimé que cet arrêt engage « la responsabilité du producteur, or Monsanto France n’a jamais rien produit. Le producteur est la société Monsanto Europe (…), une société tierce dans cette procédure ».
De son côté, l’avocat de Paul François, François Lafforgue, n’a pas masqué sa satisfaction et son émotion face à « cette décision argumentée point par point », qui couronne « une aventure humaine de longue haleine ». Avant d’ajouter : « Nous sommes fiers de l’indépendance de la justice, du travail engagé et du courage de Paul François. C’est un tournant dans la lutte contre les fabricants de pesticides, cela ouvre une porte pour les victimes ici et ailleurs dans le monde. »
Macron appelé à « ses responsabilités » sur le glyphosate
Paul François a salué une justice qui va « plus vite que les hommes politiques » et adresse « un message au gouvernement, à Agnès Buzyn et à Emmanuel Macron ». Véhément, le fondateur de l’association Phyto-Victimes a rappelé l’engagement du président de la République à prendre « ses responsabilités pour le retrait du glyphosate. Il ne l’a pas fait, donc maintenant on sait pour qui il roule, il roule pour Bayer ». Avant d’asséner : « Honte à eux! Le gouvernement protège les industriels au détriment de la santé publique. Ils seront jugés par l’Histoire pour leur inaction. »
Pour autant, le combat n’est pas terminé. Bayer-Monsanto dispose de deux mois pour former un pourvoi en cassation. « C’est probablement l’étape qui viendra », a annoncé l’avocat de la firme à l’AFP. Néanmoins, estime François Lafforgue, rien n’empêcherait la Cour de cassation de balayer ce pourvoi « d’un revers de manche », puisque la cour d’appel reprend déjà ses arguments.
Reste à régler la question de l’indemnisation de l’agriculteur charentais, sur laquelle la cour d’appel de Lyon n’a pas statué, se limitant à condamner Bayer-Monsanto à lui verser 50.000 euros de frais d’avocat. Or Paul François réclame des dommages et intérêts de « plus d’un million d’euros ». Cette demande fera l’objet d’une procédure distincte. Une audience est programmée début juillet au tribunal de grande instance de Lyon pour fixer la date des plaidoiries, sans doute avant la fin 2019.