L’Allemagne se positionne de plus en plus en tant que pays vinicole, tant en termes de production que de qualité des vins. Les experts parlent déjà du « miracle viticole allemand ». Une pénurie de vendangeurs et de vignes capables de résister aux intempéries fait grimper le prix du vin allemand. Une bonne bouteille de Riesling coûte désormais au moins 18 euros.
Depuis la fenêtre d’une camionnette noire, apparaît le visage quelque peu stressé de Tina Muthmann. La propriétaire du vignoble Wolkenberg, situé dans la région de Lusace en Allemagne de l’Est, est très occupée. « Monte à bord », dit-elle. En voiture, elle passe devant les rangées de vignes qui surplombent la vallée. Au loin, juste en dessous de l’horizon, on peut apercevoir l’exploitation minière du lignite de Welzow-Süd. Nous sommes à environ 30 kilomètres au sud de la ville industrielle de Cottbus en Allemagne de l’Est.
Sur la pente du terrain, il y a un total de 26 000 vignes. Un nombre gigantesque en apparence. Pourtant, il faut avoir au moins 12 hectares de différentes variétés de raisins pour s’en sortir, explique Muthmann. Cependant, les affaires vont bon train. Très bien même. « Jusqu’à Berlin, notre nom est sur toutes les lèvres. Quand un hipster vient, les autres suivent. Récemment, nous avons eu des tables remplies de végétaliens de la ville qui buvaient du vin », dit-elle en souriant.
L’Allemagne poursuit son ascension en tant que pays vinicole, à la fois en termes de taille et de qualité des vins. L’année dernière, les vignerons allemands ont produit 8,94 millions d’hectolitres de vin à partir de raisins cultivés sur leur propre sol, soit 6 % de plus qu’en 2021 et une augmentation moyenne de 3,5 % au cours des cinq années précédentes, selon les statistiques nationales au printemps.
Les Allemands aiment à parler du « miracle viticole allemand ». Dominik Durner, professeur de technologie alimentaire et d’œnologie à l’Université de Kaiserslautern, voit les choses de la même manière. « L’Allemagne compte de nombreuses entreprises viticoles exceptionnelles. Elles peuvent parfaitement suivre le rythme de la demande du marché, en adaptant correctement les prix. »
Yvonne Heistermann, présidente de l’association allemande des sommeliers, qui compte cinq cents membres, constate également que l’Allemagne en tant que pays vinicole est en croissance. L’intérêt des jeunes est également très fort. « Chaque année, nous enregistrons une forte affluence dans les écoles de sommellerie. Les jeunes choisissent consciemment cette profession. »
L’Allemagne compte plusieurs instituts de formation renommés dans le domaine du vin. Par exemple, dans l’État allemand du Hesse, les intéressés peuvent se tourner vers l’université Geisenheim, qui collabore avec une université de Giessen. À Neustadt, il y a même un Weincampus, un institut reconnu où le professeur Durner enseigne. « En Allemagne, nous disposons d’un solide système éducatif qui encourage l’innovation. »
Au vignoble Wolkenberg, ils attendent avec impatience un type de travailleur en particulier : le vendangeur. Comme les saisons précédentes, ce sont surtout les retraités, dont deux femmes de 77 ans, qui font tourner l’affaire. Muthmann explique : « J’ai la chance que des amis, des connaissances et des habitants de la région de Lusace veuillent bien donner un coup de main. »
La récolte du raisin, qui doit être terminée dans deux semaines, est cette fois-ci effectuée par six cueilleurs polonais. Mateusz, étudiant en ingénierie de Varsovie, s’effondre sur l’un des bancs devant les vignes. Après huit heures de travail, il a terminé pour aujourd’hui. « C’est ainsi que je finance mes études. Vendredi, je retourne dans un autre vignoble en Allemagne. »
Pour Muthmann, une journée sans vin est une journée perdue. Vers quatre heures, elle se sert son premier verre de Roter Riesling. Selon Durner, cette variété de raisin blanc est le symbole de la « position unique » du vin allemand dans le paysage viticole international. « La manière particulière dont le Riesling est cultivé en Allemagne se transmet de génération en génération. » En même temps, il félicite les jeunes domaines vinicoles comme Wolkenberg pour leur « rôle de pionnier ». « Ils le font à leur manière et ont beaucoup de potentiel. »
Les producteurs de vin établis et émergents distinguent l’Allemagne en tant que pays vinicole de la France, avec laquelle elle rivalise de plus en plus. « Le temps où les Français ne faisaient que du rouge et les Allemands que du blanc est révolu depuis longtemps. Mais l’Allemagne a toujours été à la hauteur », affirme Muthmann avec conviction. Le professeur Durner nuance : « La France possède toujours une surface viticole huit fois plus grande. »
Tout comme en France, le changement climatique plane comme une menace sur les viticulteurs allemands. « Autrefois, nous avions de la pluie toutes les six semaines. Mais depuis fin mai, il n’a presque pas plu », se lamente Muthmann. Le manque d’eau semble surtout toucher l’Allemagne de l’Est, où le nombre élevé d’heures d’ensoleillement et le manque d’infrastructures adaptées pour recueillir l’eau de pluie n’aident pas.
Les jeunes producteurs de vin en développement sont particulièrement touchés par la sécheresse persistante, observe Yvonne Heistermann, sommelière. « Les vieilles vignes ont des racines profondes dans le sol. Elles peuvent plus facilement accéder à l’eau souterraine. Pour les jeunes domaines vinicoles, il est plus difficile de faire face à la faible pluviométrie de cette année. »
