Aucun chef d’Etat français depuis le général de Gaulle ne s’était rendu en visite officielle en Ethiopie. A mi-chemin du périple qui le mène de Djibouti à Nairobi, Emmanuel Macron insiste sur l’importance de ce voyage pour les intérêts de la France.
Dans la salle de conférence de l’Airbus présidentiel lundi soir, Emmanuel Macron s’est entretenu avec trois journalistes dont l’envoyé spécial du JDD. En polo et sweater aux armes de la French Tech, il a cherché à insister sur l’importance de ce voyage pour les intérêts de la France et de l’Europe. La Corne de l’Afrique et ses 350 millions d’habitants (dont 100 millions en Ethiopie) est à la fois, selon lui, en plein boom démographique, confronté à un islamisme radical entre la Somalie voisine et le Yémen, de l’autre côté du Golfe d’Aden, mais surtout en pleine phase de décollage économique.
Mieux encore, par rapport à l’Afrique de l’Ouest francophone, la France n’entretient avec cette partie du continent, nous dit-il « ni passé, ni passif », autrement dit sans héritage colonial à assumer. Voilà pourquoi il veut bâtir avec elle une « relation décomplexée ». Nicolas Sarkozy n’avait passé que quelques heures sur la base de Djibouti, François Hollande ne s’était rendu en Ethiopie que pour visiter le siège de l’Union africaine. Et aucun président français n’avait fait le voyage de Nairobi, au Kenya. Emmanuel Macron consacre à ces trois pays une tournée de trois journées pleines, ce qui dans un agenda de quinquennat diplomatique est beaucoup.
La concurrence chinoise
Mardi à Djibouti, il a réaffirmé que le réinvestissement de la France en Afrique de l’Est n’était pas dû à une volonté de rattraper un retard par rapport aux Chinois, aux Turcs, aux Russes ou aux Japonais qui ont conquis des places fortes et de grands marchés dans la région, mais qu’il y avait « une demande de France chez nos partenaires pour ne pas se retrouver face à une hégémonie chinoise » et que le premier ministre éthiopien, par exemple, lui avait dit qu’il souhaitait « contrebalancer » cette relation devenue très ou trop forte avec Pékin. Emmanuel Macron reconnait qu’on part « de très loin » mais que les choses peuvent aller très vite. Au Kenya par exemple, mercredi, près de deux milliards d’euros de contrats seront signé, un chiffre dix fois supérieur au montant annuel des exportations françaises dans ce pays.
Je suis dans une logique d’équilibre […] dans un jeu de puissances intermédiaires conjugué avec une approche européenne
« Je ne veux pas nous opposer à la Chine », insiste le président français, en évoquant l’ambitieuse réforme des nouvelles routes de la soie de Xi Jinping, qu’il s’apprête d’ailleurs à recevoir à Paris en visite d’Etat le 25 mars. Si la France et la Chine travaillent ensemble sur le plan militaire contre la piraterie dans l’Océan indien, c’est parce que leur intérêt pour la sécurité du trafic maritime mondial est commun. Mais lorsqu’il voit l’Etat chinois s’investir en Asie ou en Afrique sur des projets gigantesques, obligeant par là même certains pays à s’endetter au-delà de leur capacité, au risque de se retrouver en danger de perte de souveraineté, Emmanuel Macron veut offrir une alternative, plus soucieuse des finances publiques africaines, plus européenne, davantage tournée vers le développement durable. « Je suis dans une logique d’équilibre », nous dit-il, « dans un jeu de puissances intermédiaires conjugué avec une approche européenne ».
Macron et le « destin lié de l’UE et de l’Afrique »
« Les Européens sont tous convaincus du destin lié de l’UE et de l’Afrique », poursuit-il, « que ce soit sur le terrain du terrorisme, des migrations ou du climat ». Et de conclure : « si on ne réussit pas avec l’Afrique, on tombera avec elle, notamment avec une pression migratoire bien plus forte que ce que l’Europe a connu » ces dernières années.
A Addis Abeba, auprès de l’Union africaine dont il ira saluer le président de la Commission, à Nairobi, en se rendant à la conférence des Nations Unies sur l’environnement et à la troisième édition du One Planet Summit qu’il a initié, Emmanuel Macron veut enfin graver dans le marbre la défense du multilatéralisme face aux Chinois et aux Russes, de plus en plus présents sur le continent, mais également face aux Américains qui s’en désengagent avec Donald Trump. « Nos amis africains sont les plus ardents défenseurs de ce multilatéralisme », dit-on dans la délégation française. Sauf qu’on est bien là dans un mode défensif et dans une reconquête en termes diplomatiques. Les atouts et la volonté ne manquent pas mais le chantier est herculéen.