Début Economie Budget : pourquoi la Commission européenne sermonne l’Italie mais pas la France

Budget : pourquoi la Commission européenne sermonne l’Italie mais pas la France

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Fait inédit, la Commission européenne a rejeté mardi le budget de l’Italie. La France, qui présente un taux de déficit plus important, n’est pourtant pas concernée par une telle procédure – une première dans l’histoire de l’UE. En voici les raisons.

Deux poids, deux mesures? Mardi, la Commission européenne a retoqué le budget de l’Italie, une première dans l’histoire de l’Union européenne. Bruxelles exige une nouvelle mouture du texte, qui entraînerait le risque d’un dérapage des finances publiques italiennes. Et pourtant, en 2019, l’Italie prévoit un déficit budgétaire de 2,4% de son PIB. Un chiffre sous la barre des 3% fixée par les règles européennes… et moins important que l’objectif de déficit français pour 2019. « Macron porte bien le déficit de la France à 2,8%. Nous en ferons autant. Nous sommes un pays souverain », a ainsi commenté Luigi Di Maio, n°2 du gouvernement italien – en tant que ministre du Développement économique – et chef du Mouvement 5 étoiles (M5S).

En réalité, « le plafond des 3% est une clause minimale, explique au JDD Céline Antonin, économiste à l’OFCE et spécialiste de l’Italie. L’Italie est jugée à l’aune d’autres clauses, qui demandent de réduire le déficit structurel et la dette tous les ans. » Voici les cinq raisons qui expliquent la sévérité de Bruxelles envers Rome, ecrit Lejdd.fr

Parce que le déficit italien est parti pour durer

Le budget 2019 de la France frôle les 3% de déficit? Oui, mais c’est exceptionnel, se justifie le gouvernement français. La faute, notamment, à la refonte du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), transformé en baisses de charges, qui leste les finances publiques de 26 milliards d’euros. Dès 2020, Bercy table sur un déficit de 1,9% du PIB.

L’Italie est dans une situation contraire. L’ancien exécutif italien promettait un déficit budgétaire de 0,8%, mais la nouvelle équipe a créé de nouvelles dépenses structurelles. Baptisé « budget du peuple » par Luigi Di Maio, il entérine la fin de l’austérité. Création d’un revenu citoyen de 780 euros pour les plus démunis (soit 10 milliards d’euros de dépenses chaque année), baisse de l’âge de départ à la retraite, baisse des impôts en vue de créer une « flat tax »… autant de réformes qui grèveront chaque année le déficit italien. La coalition populiste au pouvoir compte réduire le déficit à 2,1% du PIB en 2020, puis à 1,8% en 2021. Une perspective jugée peu crédible par les économistes.

Parce que la dette italienne semble moins soutenable

« La différence essentielle entre la France et l’Italie, c’est le stock de dette », explique au JDD Anne-Laure Delatte, directrice adjointe du CEPII, un centre de recherche sur l’économie mondiale. L’Italie est endettée à hauteur de 2.300 milliards d’euros, soit 132% de son PIB. C’est le deuxième ratio le plus élevé de la zone euro après la Grèce. Très loin des 60% du PIB prônés par l’UE et bien plus que la France, pourtant mauvaise élève avec 98,6% du PIB en 2019.

L’autre paramètre, ce sont les taux d’intérêts. Mercredi, le taux des obligations à 10 ans de la France avoisine les 0,7% contre environ 3,6% pour l’Italie. Traduction : l’Italie emprunte beaucoup plus cher que la France. Ses marges de manœuvre sont donc limitées.

Parce que les prévisions du gouvernement sont trop ambitieuses

Pour Luigi Di Maio, le budget 2019 va provoquer une hausse du pouvoir d’achat des ménages et donc une relance de la croissance. Le budget compte aussi 15 milliards d’euros d’investissements dans l’éducation et les infrastructures. C’est pourquoi l’Italie parie sur un taux de croissance d’1,5% l’année prochaine. « Je peux vous assurer que la dette baissera » grâce à « la croissance économique inattendue » entraînée par ce budget, a-t-il insisté vendredi.

Trop optimiste, juge Céline Antonin. « Ce budget s’inscrit dans un contexte de tension sur les taux d’intérêt, alerte-t-elle. Les ménages et les entreprises vont emprunter plus cher ce qui va affaiblir l’effet de relance. » Également, « l’Italie a un potentiel de croissance très faible, notamment parce qu’elle présente des problèmes structurels endémiques et une faible productivité ». Au final, elle pronostique un taux de croissance d’environ 1% et un déficit plus élevé que prévu.

Parce que l’économie italienne est fragile

Bruxelles est d’autant moins clémente avec Rome que la santé économique de l’Italie est précaire. Pour Anne-Laure Delatte, un dérapage budgétaire pourrait se transformer en crise financière. « Ce n’est pas du tout rassurant pour les marchés financiers de voir qu’un pays de la zone euro ne respecte pas les règles. On pourrait avoir un cycle infernal négatif, avec une hausse du risque financier et des investisseurs qui fuient le pays. »

Dans ses conditions, l’agence de notation Moody’s a dégradé la note de l’Italie vendredi dernier. Le pays écope de la note BAA3, un cran seulement au-dessus de la catégorie dite spéculative. Dans la foulée, Moody’s a abaissé la note de plusieurs banques et grands groupes italiens, comme Unicredit, Intesa Sanpaolo, ou encore Eni. L’agence Standard & Poor’s doit mettre à jour sa note vendredi.

Or, les banques italiennes sont fragiles, plombées, pour certaines, par des créances douteuses contractées auprès de ménages ou d’entreprises qui ne peuvent plus rembourser, même si « les banques épurent progressivement leur bilan », rassure Céline Antonin.

Parce que le gouvernement italien est jugé moins coopératif

L’apparente sévérité de la Commission européenne envers l’Italie s’explique aussi par des raisons politiques. « L’Italie donne l’impression de revenir sur ses engagements passés en matière de réformes structurelles. C’est cela qui pose problème », analyse Céline Antonin.

De quoi crisper les relations entre Rome et Bruxelles et effrayer les marchés, déjà échaudés par l’attelage inédit à la tête du pays, composé de la Ligue (extrême-droite) et du M5S (anti-système). « Le gouvernement italien surfe sur le sentiment anti-euro, pour se justifier de n’avoir pas respecté ses engagements », ajoute Anne-Laure Delatte. Et de citer un contre-exemple : l’Espagne. « Elle aussi a présenté un budget expansionniste, avec des mesures sociales, mais de façon plus cohérente et sans cette dramaturgie, orchestrée à des fins électorales. » La Commission a néanmoins mis en garde Madrid contre un risque de déficit excessif.

De plus, les responsables italiens envoient des signaux divergents, signe de tensions au sein de la coalition. D’un côté, le ministre des Finances Giovanni Tria et le Président du Conseil Giuseppe Conte temporisent. « Le chiffre de 2,4% pour nous est un plafond que nous nous sommes solennellement engagés à respecter, a promis Giuseppe Conte mardi. Nous ne sommes pas une bande de têtes brûlées. » De l’autre côté, Luigi Di Maio se veut droit dans ses bottes. Matteo Salvini, le leader de la Ligue et l’autre homme du gouvernement, souffle, lui, le chaud et froid. Si, lundi, il a assuré « ne pas reculer d’un demi-centimètre », il a aussi déclaré « ne pas vouloir irriter ceux qui nous regardent de haut », évoquant alors les marchés financiers.

A noter toutefois que la Commission européenne a également tancé la France pour son manque de rigueur budgétaire. Dans un courrier adressé à Paris le 19 octobre, Bruxelles demande « des précisions » à la France sur son budget et s’inquiète de marges de manoeuvres budgétaires faibles. La direction générale du Trésor minimise, évoquant dans un communiqué des « divergences mineures ».

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