Début Societe Les incroyables prix négatifs du pétrole : les solutions

Les incroyables prix négatifs du pétrole : les solutions

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Un événement sans précédent s’est produit dans le monde de l’énergie : pour la première fois, le lundi 20 avril, les prix du pétrole ont tellement chuté qu’ils sont devenus négatifs (voir la première partie). Quelles mesures prendre pour sortir de cette situation ?

Cette crise va-t-elle sauver le climat ?

Malheureusement, si la réduction de consommation de carburant est bien réelle, seule son inscription dans la durée pour avoir un impact significatif sur le réchauffement climatique. Le seul épisode actuel est une goutte d’eau dans l’océan de nos émissions passées, présentes et futures, d’autant plus que le dioxyde de carbone notamment produit ses effets pendant très longtemps dans l’atmosphère.

Au contraire, cette crise nous montre l’énormité du changement requis pour tenir le cap des accords de Paris. En effet, les émissions de gaz à effet de serre ne devraient diminuer que de 5,5 % cette année : les deux tiers des 7,6 % de décroissance qu’il faudrait atteindre chaque année pendant la décennie à venir pour tenir l’objectif des +1,5 °C – et chaque année de retard rend la tâche plus difficile.

Cela illustre également le faible impact des actions individuelles pour réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre, alors que beaucoup d’entre nous ont largement réduit leurs activités. Plus que jamais, un changement systémique est nécessaire.

Après la crise de la demande, éviter la crise de l’offre
À première vue, cet arrêt des investissements dans le secteur pétrolier peut sembler une bonne chose pour l’environnement et le climat : tout le pétrole laissé sous terre ne se transforme pas en gaz à effet de serre après combustion.

Toutefois, nous ne pourrions nous en réjouir que si ce désinvestissement était associé à une vraie politique de sobriété énergétique, d’efficacité énergétique et de décarbonation qui réduirait concrètement la demande en pétrole. En l’absence d’une telle politique, ou pire, avec des mesures de relance non écologique, la demande de pétrole continuera d’augmenter. Cela nous amène donc à envisager une nouvelle crise du pétrole à moyen terme, qui touchera cette fois les consommateurs et les consommatrices, l’industrie n’étant plus en mesure de répondre à leur demande.

Cette crise est d’autant plus probable que le pic pétrolier est soit en cours, soit déjà passé. L’AIE (Agence internationale de l’énergie) prévoyait que le pétrole non conventionnel des États-Unis compte pour 85 % de la hausse de la production mondiale de pétrole d’ici à 2030 ; or ces investissements n’auront probablement pas lieu. Déjà avant cette crise, en décembre, un rapport s’interrogeait sur la possibilité que les nouveaux puits comblent cette demande. En cas de fermetures de puits, la baisse de productivité ou l’impossibilité de leur réouverture renforcera la crise de l’offre.

Il est donc urgent d’exploiter au mieux cette opportunité climatique unique et d’élaborer des mesures de baisse durable de notre consommation de pétrole. Le pétrole est l’énergie des transports par essence (sans mauvais jeu de mots). On sait ce que donne en France un peuple qui n’arrive pas à se procurer le pétrole nécessaire aux déplacements vitaux : le mouvement des gilets jaunes. Il faut dès à présent relocaliser l’industrie et l’alimentation, aménager le territoire pour favoriser la proximité des services essentiels, remplacer les chaudières à fioul des particulier·es par des chauffages moins carbonés, limiter le transport aérien, développer le transport ferroviaire et notamment le fret et autonomiser notre modèle agricole des tracteurs et des engrais. Ces mesures peuvent être financées par une taxe profitant du bas prix actuel de l’énergie.

En plus d’améliorer notre résilience aux crises énergétiques et notre bilan carbone, cette réduction de la dépendance au pétrole aura également un impact positif sur notre résilience aux crises géopolitiques et sur la balance commerciale de la France. La même logique doit évidemment s’appliquer au gaz.

Monnayer l’aide au secteur pétrolier en contreparties climat
Notre pays traverse une crise économique extrêmement grave qui va provoquer une vague de licenciements économiques touchant une main-d’œuvre hautement qualifiée, gaspillant un savoir-faire précieux. La difficulté financière des entreprises peut les rendre vulnérables à des rachats hostiles par des groupes étrangers, ce qui diminuerait la souveraineté énergétique de la France. Enfin et surtout, il s’agit d’une opportunité unique et manifeste, qu’il faut être suffisamment habiles et prompts à saisir.

En effet, la crise des entreprises du secteur pétrolier va les pousser à demander l’aide de l’État. Bien entendu, il est hors de question de leur faire un chèque en blanc, qui se révélerait une subvention directe au secteur des énergies fossiles. En revanche, le moment est idéal pour les contraindre à un certain nombre de contreparties auxquelles elles s’opposeraient dans d’autres circonstances.

Ces contreparties peuvent prendre la forme d’une suppression des niches fiscales sur les carburants du transport routier de marchandises et de l’aviation, ou d’une compensation de leurs émissions par un réinvestissement de leurs bénéfices dans les secteurs de la décarbonation et de l’efficacité énergétique. Le Haut Conseil pour le climat réclame également que toute aide soit clairement subordonnée à l’adoption explicite de plans d’investissement et de perspectives compatibles avec la trajectoire bas-carbone, ainsi qu’à un accompagnement des personnes travaillant dans le secteur.

L’aide de l’État doit prendre la forme de prise de participation au sein de ces entreprises, ce qui lui permettra ensuite de faire peser ses intérêts dans la balance lorsque des décisions stratégiques seront prises et de protéger les travailleurs du secteur. Si ces entreprises refusent d’accepter les contreparties à un plan d’aide, l’État doit préparer leur nationalisation.
Sans surprise, les députés LREM ont fait tout l’inverse le samedi 18 avril en refusant de voter un amendement qui conditionnait l’aide de vingt milliards d’euros, prévue par le gouvernement à destination des entreprises, à l’adoption d’un plan de transformation compatible avec les objectifs fixés par l’accord de Paris.

Bien entendu, cette crise du coronavirus ne saurait justifier le moindre recul ni à la moindre temporisation sur le plan des objectifs climatiques et des mesures associées, ni sur le plan national, ni sur la scène internationale.

L’énergie est un bien commun de l’humanité
Le pétrole, comme plus généralement les énergies, n’est pas une marchandise habituelle au sens des modèles économiques, qui suivrait la loi de l’offre et de la demande. En termes techniques, on dit qu’il n’y a pas d’élasticité de la demande, ni de l’offre, comme nous l’avons détaillé plus haut en expliquant pourquoi la production ne s’arrêtait pas, du moins à court terme. Les énergies sont à la fois des biens de première nécessité dont les particuliers sont captifs et, pour les entreprises, une matière première dont le premier déterminant de la demande est l’activité économique globale.

La séquence en cours montre que laisser les marchés financiers décider du prix des matières premières en situation d’incertitude radicale et de dépression économique est un risque supplémentaire dont nous n’avons pas besoin, qui augmente la volatilité de la situation et les risques d’effondrement. Cette variabilité empêche d’avoir un signal-prix qui aille dans le sens de la nécessaire transition énergétique.

Les prix des énergies sont indéterminables par le marché. Ils doivent bénéficier d’une garantie de stabilité dans le temps et répondre à des objectifs politiques complexes tels que la péréquation tarifaire, l’incitation aux économies d’énergie, l’accès à toutes et tous à l’énergie, le financement de filières moins polluantes, etc. Ces objectifs ressortent de la représentation nationale. Plus que jamais, nous demandons la création d’un pôle public de l’énergie.

La crise actuelle montre aussi l’absurdité de la coexistence de la logique de la concurrence mondiale avec la logique de cartel. Il nous semble qu’une coordination mondiale est la seule façon de distribuer à la fois équitablement et responsablement cette ressource en voie de raréfaction que nous devons avoir la discipline de ne pas consommer intégralement ; bref, de mettre en œuvre la planification écologique. Cette coordination ne saurait se placer sous la seule égide des pays producteurs, mais bien sous le contrôle de l’ONU.

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