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Culture : Les artistes sont des travailleurs⋅euses

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Entretien avec Aurélien CATIN, écrivain, membre du collectif La Buse, auteur de Notre condition – essai sur le salaire au travail artistique (Riot éditions).

L’écrivain Aurélien Catin associe son travail d’écriture à celui de militant politique : nuit deboutGilets jaunesArt en grève, collectif « la buse ». Dans son ouvrage notre condition, il identifie les dysfonctionnements du système que Laurent Cowet avait déjà appelé « la domestication de l’art ». Il critique ce modèle néolibéral appliqué au milieu artistique et basé sur la propriété et le commerce. II s’affranchit des représentations consensuelles et imagine un nouvel espace du commun culturel. Pour poser les premiers jalons de ce que serait ce nouvel espace de liberté, d’égalité et de fraternité, il s’appuie sur des outils existants : le régime de l’intermittence, la sécurité sociale.

Sur quel système repose actuellement la rémunération de celles, ceux que l’on appelle artistes-auteures ?

En tant qu’artiste-auteur, ma rémunération repose à la fois sur le droit d’auteur et sur le travail indépendant. D’un côté, je suis propriétaire d’une œuvre, ce qui me donne le droit de tirer une rente de son exploitation, de l’autre j’interviens sur le marché de biens et services pour vendre des objets d’art et des prestations comme des conférences ou des ateliers. L’essentiel de mes revenus sont validés par un même régime social qui les convertit en heures SMIC pour m’ouvrir des droits issus du régime général (assurance maladie, retraite, etc.).

Que pensez-vous du rôle du droit d’auteur tel qu’il existe actuellement et du fonctionnement des organismes de gestion collective (OGC) ?

Le droit d’auteur fonctionne mal et renforce les inégalités. C’est un outil d’inspiration libérale qui crée des rentes proportionnelles au succès commercial des œuvres. Je n’ai pas la place de développer, mais toutes les études mettent en avant la part écrasante de professionnel⋅les dont les revenus artistiques sont inférieurs au seuil de pauvreté. Dans les arts visuels comme dans le secteur du livre, le bi-professionnalisme est endémique et beaucoup d’entre nous ne surnagent que grâce à un système palliatif d’aides à la création. Les OGC marquent une évolution des droits patrimoniaux dans la mesure où ils instaurent une gestion collective du droit d’auteur et de ses dérivés (copie privée, reprographie, etc.). Difficile d’en faire une analyse en bloc car l’écart est grand entre une institution peu démocratique comme la SACEM et une structure plus coopérative telle que la SAIF.

Pourquoi utilisez-vous les termes travailleurs⋅euses de l’art ?

Parce que les artistes-auteur⋅es sont écartelé⋅es entre travail et propriété, et parce qu’il est temps de refonder leur condition autour d’un statut de travailleur⋅euse. Notre régime social nous donne déjà des droits de salarié⋅es, ce qui correspond au projet initial de la Sécu qui devait s’étendre à l’ensemble de la population, indépendant⋅es compris⋅es. De la même façon que nous avons dénaturalisé la figure de l’artiste, nous devons maintenant dépasser la catégorie d’artiste-auteur⋅e. Observons la manière dont nos camarades du spectacle se sont imposé⋅es pour conquérir une assurance chômage : nous pouvons construire un statut qui nous lie aux autres travailleur⋅euses, mais cela suppose de réfuter la centralité de luttes spécifiques comme le droit d’auteur. Sur le plan symbolique, dire que les artistes sont des travailleur⋅euses permet de dissiper l’illusion d’un rapport entre associé⋅es : non, nous ne sommes pas les partenaires de la fondation Vuitton ou du conseil d’administration du groupe Hachette.

En quoi l’extension du régime des intermittentes et une sécurité sociale de la culture que vous proposez dans votre livre Notre condition seraient non seulement réalisables mais préférables dans l’intérêt général ?

D’abord, parce que les outils existent : le régime de l’intermittence donne sa pleine mesure depuis 1979 et la capacité d’investissement de la Sécu a permis de financer la création de l’hôpital sans faire appel au marché des capitaux. Ensuite, parce que ces outils déconstruisent la définition capitaliste du travail. L’assurance chômage attache une partie du salaire à la personne : entre deux engagements, les intermittent⋅es n’ont pas d’emploi, mais ils ont droit au maintien de leur salaire car ils restent des travailleur⋅euses. Nous pouvons nous inspirer de cette dissociation entre salaire et emploi pour déconnecter le revenu des artistes-auteur⋅es de leur bénéfice individuel. Quant à l’idée de sécurité sociale de la culture, elle consiste à développer l’investissement populaire, c’est-à-dire à remplacer le crédit capitaliste par du financement par cotisation. Cela pose une question : qui détient le pouvoir sur le travail artistique ?

En pratique, comment fonctionnerait cette sécurité sociale de la culture ?

En actualisant un des rôles historiques de la Sécu : celui de caisse d’investissement. Comme je l’ai dit, une partie de l’hôpital public a été financée par une hausse du taux de cotisation maladie. Nous n’avons pas eu besoin de faire appel à des prêteurs et nous avons limité le recours à l’impôt. Rappelons-nous que le régime général est sous gestion ouvrière jusqu’en 1967, ce qui institue une forme de pouvoir populaire sur le fruit du travail commun. Nous pouvons explorer cette piste pour progresser sur le terrain de la démocratie économique. Dans Notre condition, j’essaie de transposer cette réflexion dans le contexte du travail artistique. Regardons qui finance le secteur dans lequel évoluent les artistes-auteur⋅es : d’un côté des fondations, des banques, des grands collectionneurs et des multinationales du divertissement, de l’autre l’État et les collectivités qui se retirent et transfèrent certaines de leurs compétences vers le premier bloc. La sécurité sociale de la culture se poserait en alternative à cet ensemble de bailleurs toxiques ou affaiblis par trente ans de politiques libérales.

La première étape serait d’instaurer une nouvelle cotisation interprofessionnelle sur le modèle des cotisations chômage et maladie. Ainsi, la valeur collectée pourrait alimenter une production culturelle alternative par le biais d’instances démocratiques. Pour cela, il faudrait monter un réseau de caisses gérées par des assemblées d’artistes, de représentant⋅es des travailleur⋅euses de la culture, de chercheur⋅euses et de citoyen⋅nes tiré⋅es au sort dont la mission serait d’attribuer des subventions à l’échelon territorial approprié.

La dernière étape consisterait à conventionner les collectifs, les diffuseurs et les entreprises bénéficiaires selon des critères sociaux, économiques et environnementaux. L’étape du conventionnement serait déterminante pour écarter les banques, les géants du numérique, les groupes industriels et financiers, et pour imposer des conditions de production respectueuses de l’humain et propices à la création de richesses culturelles.

Associée à des outils qui permettent d’attacher le salaire à la personne, une telle institution donnerait aux artistes-auteur⋅es une meilleure maîtrise de leur activité et des réseaux dans lesquels elle s’insère.

Propos recueillis par Danièle ATALA

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